En hiver, le bourgeon du hêtre (Fagus sylvatica, Fagacées) trône sur sa branche, entouré de quelques feuilles marcescentes qui le protègent un peu du vent. Facile à reconnaître, il est allongé et pointu, comme le fuseau de la Belle au bois dormant. D'ailleurs, comme elle, ce bourgeon fusiforme dort du sommeil du juste.
La dormance est un atout majeur pour lui : pas de croissance intempestive de la mini-branche feuillée qu'il contient. Le sommeil profond empêche donc l'allongement de cette branche en dehors du bourgeon et les tendres feuilles minuscules de mettre le nez dehors au cœur de l'hiver. Bien serrées dans leur mini-boîte recouvertes d'écailles, bien rangées, elles attendent, vivantes, le retour des beaux jours.
Soyons indiscrets... A quoi ressemblent-elles, les belles endormies dans leur cage d'écailles ?
Une coupe à travers le bourgeon, observée au microscope après coloration pour augmenter le contraste, et les voilà... Toutes fines, repliées en de multiples sillons, comme une pièce de drap au Bonheur des dames, pour tenir le moins de place possible dans le bourgeon. On dirait qu'elles se prennent pour des vers colorés !
Le repliement des feuilles ne se fait pas n'importe comment... Au sommet de chaque sillon, comme une charnière résistante, se trouve une nervure ! On reconnait dans chacune un peu de bois, coloré en bleu. Et puis, comme un chapeau clair au-dessus de chaque nervure, une masse de cellules claires, dodues, transparentes. Les vaisseaux du bois permettront l'arrivée de l'eau dans la feuille dès le retour du printemps, et donc son dépliement. Les feuilles empaquetées dans l'espace réduit du bourgeon sont donc minutieusement repliées le long de leurs nervures, comme un éventail se replie le long de ses armatures de bois...
On devine au milieu de la longueur de la feuille en coupe transversale une nervure un peu plus grosse : c'est la nervure principale (flèche rouge), les autres étant qualifiées de secondaires. Tiens, bizarre, toutes les nervures apparaissent coupées transversalement par la lame qui a tranché le bourgeon, comme si elles étaient toutes disposées parallèlement dans le limbe de la feuille... un peu comme dans une feuille de poireau...
Pourtant, une feuille de hêtre, normalement, a une seule nervure centrale et plein de nervures secondaires reliées à elle, en position oblique par rapport à la centrale ! La nervation de cette feuille est dite pennée, à la manière des barbes d'une plume accrochées à l'axe central de la rémige. L'observation au microscope ne devrait donc montrer que la nervure centrale en coupe transversale (elle est la seule qui est perpendiculaire au plan de coupe, entourée en violet sur la photo ci-dessous) et les autres en coupe oblique (entourées en bleu) ...
Mais c'est oublier que le limbe de cette feuille, sa partie verte étalée et parcourue de ces fameuses nervures, est dans le bourgeon complètement replié comme un éventail fermé, grâce aux plis qui amènent finalement toutes les nervures, centrale et secondaires, dans une position apparemment parallèle. La preuve ? Il suffit de déplier l'éventail ! Pour cela, observons l'ouverture du bourgeon au printemps (photo ci-dessous). Au tout début, au moment où les jeunes feuilles émergent, les nervures semblent effectivement proches les unes des autres et donc parallèles entre elles. Mais quelques jours plus tard, le limbe se déploie et les nervures secondaires prennent enfin leur position oblique par rapport à la centrale.
Passionnant !