top of page
  • Photo du rédacteurCatherine Lenne

Du sirop pour ne pas geler jusqu'à la moelle


L'hiver s'est invité avec la neige, le froid, le gel... Un temps à ne pas mettre un arbre dehors ! Et pourtant, vivant les pieds ancrés dans le sol, fixé, indéplaçable, indéboulonnable, l'arbre de nos contrées doit faire face aux frimas sans geler jusqu'à la moelle ! Que se passe-t-il dans l'intimité de cet arbre qui semble mort en hiver ? D'aucuns diront "rien" ou au mieux "il dort" s'il n'est pas mort ! Certes, ses bourgeons sur les branches (voir ICI) et son cambium sous l'écorce de tous ses axes (la fine couche de cellules qui fabriquent le bois au printemps, voir photo de la coupe d'un tronc de mûrier ci-dessous) dorment. Leurs cellules fragiles dorment du sommeil du juste, une dormance qui s'est installée dès la fin de l'été et qui a mis leur activité au ralenti. Les cellules dorment, et le sommeil, ça conserve !

Mais dans le tronc, dans les branches, comment le froid ne fait-il pas geler le bois et surtout l'eau qu'il contient ? Car dans le bois de l'arbre, il y a beaucoup de tuyaux (les vaisseaux, chez les feuillus) qui acheminent l'eau du sol jusqu'aux feuilles lorsque l'arbre est en activité (du printemps jusqu'à la fin de l'été : le liquide circulant est alors la sève brute, une eau contenant aussi des minéraux puisés dans le sol par les racines). Et l'eau dans les tuyaux, ça gèle ! Il n'y a pas de vidange de la plomberie pour mettre l'arbre "hors-gel" à l'automne... L'eau contenue dans les vaisseaux en hiver ne circule plus - il n'y a plus de feuilles pour aspirer le liquide vers le haut - et stagne dans les gouttières-vaisseaux, risquant de prendre en glace si la température vient à passer sous le zéro. Comment ne pas geler alors, et risquer de voir éclater son bois ?

Il y a bien l'écorce de l'arbre, qui emballe tout son corps, des racines jusqu'aux plus fines ramilles de ses branches. Elle est faite de liège protecteur et isolant, isolant car le liège est un tissu de cellules entassées, bien rangées, mortes et contenant de l'air (photo). Et tout cet air emprisonné dans les murs cellulaires du liège fait "tampon" avec l'air extérieur, freinant le refroidissement de l'intérieur de l'arbre. Une bonne chose que cette doudoune de liège mais insuffisante parfois, si le froid est particulièrement mordant et la température extérieure négative !

Alors encore une fois, comment ne pas geler des tuyaux ? En fabriquant des antigels si nécessaire ! Voilà une activité qui se fait au froid, au cœur de l'arbre endormi. Endormi mais pas complètement inactif !





Il y a, dans le bois de l'arbre, des cellules vivantes qui aiment à travailler au froid et fabriquent, à partir des stocks d'amidon mis de côté en été par l'arbre prévoyant, de petits antigels. Des stocks d'amidon ? Dans le bois ? Comme dans la pomme de terre ?? Oui, mais rangés essentiellement dans les rayons du bois, ces lignes de cellules vivantes qui traversent toute l'épaisseur du tronc ou de la branche et le long desquelles votre bûche qui sèche, avant d'être consumée dans la cheminée, se fend... On voit bien ci-dessous ces grains d'amidon violets dans les rayons (R = rayons, V = vaisseaux, F = fibres du bois) et il y en a aussi beaucoup dans des cellules perpendiculaires aux rayons et ralliant les vaisseaux. Un véritable grenier que ce bois d'hiver !

Lorsque la température baisse dangereusement, l'amidon est découpé dans ces cellules en petits sucres solubles qui sont alors injectés dans les vaisseaux, abaissant le point de congélation de l'eau, comme le fait le sel répandu sur nos routes en hiver pour éviter le verglas (en fait, pour abaisser la température à laquelle l'eau gèle sur le bitume !). Transformer sa sève brute, son eau en sirop de grenadine, voilà de quoi empêcher le gel dans ses tuyaux... Et lorsque la température extérieure remonte un peu ou que le pâle soleil d'hiver chauffe un peu le tronc, le gel ne menace plus et les petits sucres sont réabsorbés par les cellules des rayons et restockés sous forme d'amidon. Jusqu'au prochain coup de gel où l'histoire recommence... Bref, l'arbre ne reste pas inactif en hiver, loin de là ! Il lutte contre le froid en découpant/recollant ses molécules d'amidon, actif malgré le froid et efficace pour éviter au maximum de geler jusqu'à la moelle... Qui a dit qu'il ne se passait rien dans un arbre en hiver ?


Copyright : photos Catherine Lenne, sauf photos d'anatomie du bois avec grains d'amidon dans les rayons (coupes transversales de branche de noyer, Juglandacées, colorées à l'acide périodique de Schiff) : (c)Nicole Brunel-Michac, laboratoire PIAF.

248 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page