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  • Photo du rédacteurCatherine Lenne

Mousse, mémoire et couche-culotte !


Les sphaignes sont de petites mousses bien jolies, toutes de rouge vêtues (Sphagnum sp., famille des Sphagnacées). Un seul genre dans cette famille mais de nombreuses espèces, difficiles à identifier sans un microscope et de longues années de pratique ! Tenons-nous en au genre et plongeons dans l'intimité de cette mousse peu banale...

Les sphaignes vivent dans les zones humides tourbeuses, comme ici autour du lac de Bourdouze, dans le Puy-de-Dôme. Qui dit tourbe dit sphaignes.

Ce sont ces mousses qui construisent la tourbe, par l'accumulation et la compaction lente de leurs parties basses, mortes. Celles-ci se décomposent très lentement, voire pas...

Pourquoi n'y a-t-il pas de pourrissement ? Parce qu'il y a peu d'oxygène dans l'eau de la tourbière (faible courant), peu de bactéries et que l'eau froide y est en plus acide (à cause du fonctionnement même des feuilles de sphaignes, voir plus bas). Milieu anaérobie (pauvre en oxygène), froid, acididité... autant de conditions peu avenantes pour les micro-organismes décomposeurs habituels. La matière organique ne s'y décompose donc que très peu, très lentement, conduisant à l'accumulation et la compaction de grandes épaisseurs de tourbe noire. Un véritable coffre-fort de carbone séquestré...

On y retrouve même parfois des corps humains momifiés et parfaitement conservés depuis plusieurs millénaires (voir l'homme de Tollund, dont les traits du visage sont incroyablement conservés)...





Les sphaignes sont de véritables éponges... Elles ont une capacité de rétention d'eau spectaculaire, absorbant jusqu'à 30 fois leur poids en eau ! Pas étonnant qu'on retrouve parfois un petit tapis de sphaignes sèches dans l'épaisseur des couches-culottes de nos bébés... Cette propension à se gorger d'eau est directement liée à l'anatomie des feuilles de la sphaigne. Sortons le microscope pour en savoir plus...

La feuille de sphaigne est très mince (1 seule couche de cellules), ce qui permet de l'observer très facilement au microscope. On y voit un drôle de réseau translucide. Vu de plus près, le réseau est formé de grosses cellules transparentes (l'une d'elle est mise en évidence par le contour bleu sur le cliché), percées de larges ouvertures arrondies (les pores). Ces cellules énormes, les hydrocystes (ou hyalocystes), sont comme des outres aux multiples ouvertures. Elles sont mortes et possèdent des renforcements de parois (elles apparaissent rayées), ce qui les maintient ouvertes, en 3 dimensions. Elles assurent passivement (puisqu'elles sont mortes !) la mise en réserve de l'eau qui entre et sort par les pores béants. Entre les hydrocystes, un mince réseau de cellules vertes assurent la photosynthèse de la feuille (ce sont les chlorocystes, l'un d'eux surligné en vert sur le cliché). Sur la coupe transversale de la feuille, on constate que les hydrocystes et les chlorocystes s'alternent régulièrement dans la "mono-couche" de cellules. Les chlorocystes sont les seules cellules vivantes des feuilles, responsables de sa fonction photosynthétique, mais aussi, par leur fonctionnement, de l'acidification de l'eau de la tourbière car elles y "recrachent" en grande quantité des ions acides (les protons).

Pour finir, une dernière remarque... Les sphaignes sont la mémoire du passé puisque, en l'absence de décomposition de la matière organique, on retrouve dans la tourbe les grains de pollen des espèces végétales qui vivaient aux alentours de la tourbière plusieurs milliers d'années auparavant. Les grains de pollen se conservent aussi parfaitement dans la tourbe car ils sont revêtus d'une paroi blindée, résistante à toutes les attaques possibles (la sporopollénine, une molécule de compétition, indestructible, imprègne ces parois cellulosiques). Les tourbières sont donc aussi de véritables archives du passé, lues et étudiées par les palynologues, spécialistes des pollens fossiles.




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